Permettez-moi
de vous souhaiter la bienvenue à ce symposium public. Ce n'est pas
une manifestation officielle de l'OMC et les opinions qui y seront
exprimées sont celles des orateurs. Je suis heureux de constater que
vous êtes venus si nombreux. Près de 700 personnes se sont inscrites
pour participer à ce symposium. C'est sans aucun doute le signe que
le dialogue et le débat avec le public sont non seulement possibles
mais souhaités à l'OMC. J'apprécie aussi que vous soyez si nombreux
à vous intéresser au Programme de Doha pour le développement.
Depuis novembre dernier, ce programme a fait l'objet de
délibérations dans de nombreuses réunions intergouvernementales,
mais n'a pas encore été présenté au grand public comme il le
mérite. C'est là votre tâche. En tant que représentants de la
société civile, des milieux universitaires, du monde des affaires,
des gouvernements et des médias, il vous appartient – puisque vous
êtes les utilisateurs finals du système - de vous attaquer à la
réalité qui se cache derrière les questions difficiles, mais très
concrètes, auxquelles se trouvent confrontés non seulement le
commerce international, mais aussi les perspectives d'amélioration du
bien-être des personnes sur l'ensemble de la planète.
Au
cours des deux journées et demie à venir, je m'attends à un débat
et à des discussions âpres sur tous les sujets, depuis les questions
d'accès aux marchés et la question de savoir si nous avons besoin ou
non de règles en matière d'investissements et de concurrence,
jusqu'à l'interface entre le commerce et l'environnement et ce qu'il
y a lieu de faire encore pour aider les pays en développement à
renforcer leurs capacités commerciales.
L'importance
de clarifier ce qui est en jeu dans les négociations actuelles est
évidente. Les décisions qui seront prises au cours des prochaines
années auront des répercussions à long terme dans le monde entier.
Ces décisions demandent du courage et une vision aiguë et claire. En
fin de compte, personne n'obtiendra tout ce qu'il espérait. Mais tous
les pays participant à ces négociations devraient obtenir quelque
chose. Nous ne parviendrons jamais à un accord si ce n'est pas le cas.
Nous n'aurons pas non plus l'appui d'un grand nombre d'entre vous ici
présents, si vous estimez que vos avis ne sont pas entendus, compris
et pris en compte dans la position adoptée par votre pays. Nombreux
sont ceux qui demandent davantage de représentation et certains
critiquent ouvertement les processus de prise de décisions de l'OMC
parce que ces décisions sont prises par des fonctionnaires chargés
du commerce, nommés le plus souvent par des gouvernements élus. Pour
certains critiques, ce n'est pas cela qu'il faudrait. Je peux
comprendre cet avis, mais nous n'avons encore rien trouvé de mieux.
Peut-être que quelqu'un dans la salle aura quelques idées qu'il
voudra partager sur cette question de la légitimité. Elle demande
davantage de réflexion et nous n'avons fait que l'effleurer. C'est
pourquoi je tenais tellement à ce que deux séances de travail
figurent au programme de ce symposium. La première porte sur le rôle
des représentants élus - les parlementaires -, l'OMC et les
négociations commerciales en général. Les parlementaires ne sont
pas seulement des parties prenantes, ce sont des législateurs. En
dernière analyse, ce sont eux qui doivent ratifier les accords et
adapter leurs législations nationales à toute obligation nouvelle
résultant d'un traité international. Ils doivent être informés des
progrès qui se réalisent ou qui ne se réalisent pas sur les
questions qui les intéressent. J'estime qu'il est grand temps que
nous ayons un débat sur leur rôle et je suis très heureux que cette
séance sur l'OMC et le rôle des parlementaires, une première à
l'OMC, ait lieu.
La
deuxième séance de travail portera sur le “fonctionnement et le
financement de l'OMC”; y participeront des négociateurs chevronnés
dans le domaine commercial et d'anciens Présidents du Conseil
général de l'OMC. L'OMC compte aujourd'hui 144 gouvernements Membres.
Vingt-huit autres pays veulent se joindre à eux. Comment allons-nous
respecter le “principe du consensus” dans cinq ans environ,
lorsque l'Organisation comptera plus de 170 gouvernements Membres?
Comment cela fonctionnera-t-il et ne devrions-nous pas commencer
bientôt à débattre de la nécessité d'avoir une structure de
gestion pouvant s'occuper des affaires courantes de l'OMC? Et comment
continuerons-nous à financer l'assistance et la coopération
techniques en faveur des pays en développement et des pays les moins
avancés du système, dont la demande ne cesse de croître? Je suis
heureux que quelques négociateurs ayant une grande expérience des
questions commerciales, dont M. Arthur Dunkel, ancien Directeur
général du GATT, participent à cette séance.
Permettez-moi
de parler brièvement de la manière dont le symposium de cette année
est organisé. Ce matin, nous entendrons six orateurs, tous reconnus
pour leur rôle de premier plan en matière d'affaires publiques, de
politique, de science ou de questions humanitaires. Ces orateurs
parleront des questions qui sont au cœur même du système commercial
multilatéral actuel. Nous entendrons d'abord M. Jeremy Hobbs,
Directeur exécutif d'Oxfam International. Il sera suivi de
M. Ernesto Zedillo, ancien Président du Mexique. Après celui-ci,
nous entendrons un nouveau venu à l'OMC, S.E. M. Sun Zhenyu,
Ambassadeur de la République populaire de Chine auprès de l'OMC.
Après son intervention, je propose de donner la parole à ceux qui
voudront présenter des observations ou poser des questions. Je vous
invite à ne pas tous lever la main en même temps et, je vous en prie,
ne soyez pas offensés si je ne vous donne pas la parole. Au cours des
16 séances de travail qui suivront les interventions de ce matin,
vous aurez amplement le temps de dialoguer et de parler de vos
principales préoccupations. En fait, une grande partie des orateurs
de ce matin prendront part aux séances de travail de cet après-midi
et de demain, de sorte que vous aurez largement la possibilité de
leur faire connaître vos préoccupations.
Après
cela, nous entendrons M. Eduardo Perez Motta, Ambassadeur du Mexique
auprès de l'OMC, qui nous transmettra un message du Ministre de
l'économie de son pays, M. Luis Ernesto Derbez Bautista. Comme
beaucoup d'entre vous le savent déjà, le Mexique accueillera la
prochaine Conférence ministérielle en 2003. Beaucoup estiment que
les difficultés que nous avons rencontrées et surmontées l'an
dernier à Doha n'étaient qu'un avant-goût des négociations
difficiles qui nous attendent au Mexique l'an prochain. La Conférence
ministérielle à venir constituera un défi majeur pour les Membres
de l'OMC mais aussi pour les autorités mexicaines qui s'efforcent
d'assurer une participation aussi large que possible de représentants
de la société civile.
Après
l'intervention de M. Derbez, je donnerai la parole à M. Bjorn Lomborg,
qui présentera ses derniers travaux de recherche sur l'état du monde
aujourd'hui. Il sera suivi de M. Jagdish Bhagwati, économiste
renommé, qui a beaucoup fait pour exposer les avantages d'un système
commercial multilatéral ouvert. Le dernier orateur de la matinée (mais
non le moindre) sera M. Tony Juniper de Friends of the Earth.
Après son intervention, j'espère que nous disposerons encore de
suffisamment de temps pour permettre quelques observations et
questions supplémentaires sur les interventions faites au cours de la
deuxième moitié du programme de la matinée. Une fois encore, je
vous demande de faire preuve de compréhension et répète que vous
aurez la possibilité d'exprimer vos préoccupations pendant les
différentes séances de travail. L'après-midi d'aujourd'hui et toute
la journée de mardi seront consacrés aux diverses séances de
travail sur le Programme de Doha pour le développement. Un grand
nombre de ces séances ont été organisées par des organisations non
gouvernementales. Elles se poursuivront mercredi matin, après quoi
nous aurons une séance de clôture d'une heure. Il a été demandé
aux modérateurs des différentes séances de travail d'écrire des
rapports analytiques résumant les principaux points soulevés. Ces
rapports pourront être consultés sur le site Web de l'OMC. Il sera
aussi demandé aux modérateurs des séances du mercredi matin de
faire chacun, au cours de la séance de clôture, un bref rapport oral
sur les principales questions soulevées dans leur réunion.
Avant
de laisser la place aux orateurs d'aujourd'hui, je voudrais dire
quelques mots sur la situation actuelle de l'OMC et souligner à quel
point il importe que les gouvernements travaillent sur de nombreux
fronts simultanément pour atteindre leurs objectifs. De nombreuses
institutions recentrent leurs activités sur les questions de
développement et la fourniture d'une aide financière aux pays en
développement. L'OMC a lancé à Doha, l'an dernier, un cycle de
négociations commerciales consacré au développement, tandis que, le
mois dernier, à Monterrey, la Conférence des Nations Unies sur
le financement du développement a été un énorme succès avec la
prise de nouveaux engagements en vue de financer l'objectif des
gouvernements, qui est de réduire de moitié l'extrême pauvreté
d'ici à 2015. L'ouverture des échanges jouera un rôle dans ces
projets ambitieux. Une fructueuse libéralisation du commerce pourrait
se traduire par une expansion de l'économie mondiale de 2 500
milliards de dollars et faire sortir 320 millions de personnes de
l'extrême pauvreté au cours de cette même période de 13 ans. Les
avantages qui découleraient pour les pays en développement d'une
réduction des subventions et de la protection accordées à la seule
agriculture représenteraient environ cinq fois le montant de toute
l'aide au développement et huit fois celui des allégements de la
dette accordés jusqu'ici.
Le
Programme de Doha pour le développement et le commerce joueront
également un rôle important à la prochaine Conférence de
Johannesburg sur le développement durable, souvent appelée "Rio
plus 10". À Doha, les gouvernements se sont engagés à
négocier sur la relation entre les accords environnementaux
multilatéraux (AEM) et les Accords de l'OMC pour éviter toute
contradiction juridique. L'objectif des négociations de l'OMC est de
renforcer le soutien mutuel du commerce et de l'environnement. C'est
pourquoi les négociations porteront aussi sur les obstacles au
commerce des biens et services environnementaux. Les gouvernements
sont également convenus d'accorder une attention particulière à
l'effet des mesures environnementales sur l'accès aux marchés et aux
situations dans lesquelles l'élimination ou la réduction des
restrictions et des distorsions des échanges serait bénéfique pour
le commerce, l'environnement et le développement, c'est-à-dire les
situations où l'on gagnerait sur les trois tableaux. Les
gouvernements traiteront aussi des prescriptions en matière
d'étiquetage à des fins environnementales, car beaucoup craignent
que des décisions unilatérales sur des questions telles que
l'étiquetage ne deviennent un protectionnisme déguisé, voire ciblé.
Il apparaît depuis quelques années déjà qu'à moins d'une action
mondiale, il y aura une réaction locale, qui pourrait être
dommageable pour les pays les plus pauvres. La meilleure manière de
progresser sur ces questions épineuses est de le faire par la
négociation.
Beaucoup
de pays en développement sont très méfiants à l'égard des pays
développés car ils redoutent des motifs protectionnistes et font
valoir que les subventions à l'agriculture dans les pays de l'OCDE
coûtent un milliard de dollars par jour et entraînent des pertes
d'emploi pour les pays pauvres, ainsi que la pollution dans les pays
riches en raison de l'utilisation intensive d'intrants agricoles
subventionnés. Les subventions au secteur de la pêche par les pays
riches ont une incidence comparable sur l'environnement, autre point
de désaccord profond entre les gouvernements qui sera examiné dans
les négociations.
Tous
les travaux de recherche dignes de foi montrent que la pauvreté est
la plus grande menace pour l'environnement. Personne ne choisit
délibérément de vivre dans un cloaque sordide ni de marcher des
kilomètres ramasser du bois de chauffage en dépouillant des arbres.
Il y a un lien direct entre la hausse des niveaux de vie et une
meilleure situation de l'environnement. La progression de l'éducation
et des niveaux de vie réduit la natalité. Il en va de même pour
l'environnement. Les villes riches sont plus propres que les villes
pauvres. Chaque fois que nous élevons une population au-dessus du
seuil de pauvreté, nous élevons la situation de l'environnement.
Toutes
ces considérations montrent que M. Kofi Annan a eu raison d'agencer
les conférences pour aborder d'abord la pauvreté à Monterrey puis
le développement durable. Ce sont les deux faces d'une même
médaille. Il faut espérer que les gagnants seront ceux qui aspirent
à la liberté de choisir et non ceux qui espèrent obtenir les
résultats escomptés au moyen de contrôles centralisés. L'histoire
montre que les lieux les plus pollués et où vivent les personnes les
plus démunies sont ceux qui ont pâti de gouvernements ayant essayé
de planifier les résultats par un contrôle centralisé du
gouvernement. L'environnement ne s'est jamais aussi bien porté que
lorsqu'il est le fruit de la démocratie, de marchés ouverts, d'une
société civile active et de médias libres qui font que les milieux
politiques et économiques restent honnêtes, responsables et
attentifs.
Je
vous remercie de votre attention. Permettez-moi maintenant de donner
la parole à notre premier orateur invité, M. Jeremy Hobbs, Directeur
exécutif d'Oxfam International. M. Hobbs, vous avez la parole.