NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

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Bonjour et merci à tous d’être venus célébrer avec nous le 30ème anniversaire de la Division des affaires juridiques.

Je résisterai à la tentation de débuter mon intervention par une plaisanterie sur les avocats.  Je préfère vous parler de la naissance de la Division à l’époque du GATT et de son évolution.

Il y a une trentaine d’années, Arthur Dunkel a nommé Hielke Van Tuinen premier Directeur des affaires juridiques du GATT.  La nomination de M. Van Tuinen a ouvert la voie, quelques mois plus tard, à la création du Bureau des affaires juridiques puis de la Division des affaires juridiques.

La décision de M. Dunkel de créer un bureau juridique au sein du Secrétariat n’a pas été acceptée sans mal car la communauté du GATT était dans l’ensemble hostile à toute forme de légalisme.  Fort heureusement, aucun des Membres n’a mis à exécution l’exhortation lancée par Dick le boucher dans la pièce Henri VI de Shakespeare, qui avait appelé à tuer tous les hommes de loi.  Il est vrai cependant que les diplomates spécialistes des questions commerciales de la vieille école voyaient plutôt d’un mauvais œil l’immixtion de juristes dans l’interprétation de règles qui avaient été négociées avec tant de soin.  M. Dunkel était donc un homme de courage.

L’Organisation n’étant pas à une ironie près, le Bureau des affaires juridiques a été créé à la condition que son chef ne soit pas un juriste.

Au cours des premières années d’existence du GATT, les diplomates chargés des questions commerciales se considéraient comme les gardiens d’un code ésotérique secret.  Et, à bien des égards, cela était effectivement le cas.  Les premières règles du GATT s’appliquaient à un groupe restreint de pays et étaient souvent incompréhensibles pour les non‑initiés.  En 1951, le sénateur Millikin — qui était alors Président du Comité des finances du Sénat des États‑Unis — avait fait cette observation demeurée célèbre, qui a été rapportée par John Jackson:  “Quiconque lit le GATT met en danger sa santé mentale.”

De nombreux diplomates du GATT de l’époque s’étaient investis personnellement dans l’élaboration des règles;  ils avaient donc une idée bien précise de la manière dont elles devaient être interprétées.  Lorsque des différends commerciaux survenaient, l’important n’était pas de rendre un avis juridique permettant d’établir si une mesure contrevenait ou non aux règles du GATT mais de trouver des solutions acceptables sur le plan politique.  Pour ce faire, les différends étaient examinés par des groupes de travail composés des pays directement concernés.  Le rapport d’un groupe de travail ne pouvait être approuvé que par consensus et devait être accepté par toutes les parties au différend.

Il s’agissait d’une procédure pratique, qui avait sans doute été d’une grande utilité pour les parties contractantes au cours des premières années.  Mais elle a rapidement montré ses limites.  De nouvelles parties contractantes ont rejoint le GATT et de nouveaux diplomates ont remplacé les premiers négociateurs.  Il n’était plus toujours possible de s’en remettre à l’expérience personnelle des diplomates pour faire la lumière sur des passages de textes juridiques parfois obscurs que leurs prédécesseurs avaient mis au point.  Qui plus est, pour que le GATT remplisse pleinement son rôle de cadre pour la promotion du commerce et de l’investissement, il était important que les règles soient appliquées de manière transparente et prévisible.  Cela ne coïncidait pas nécessairement à la perfection avec les efforts déployés pour trouver une solution acceptable au plan diplomatique pour toutes les parties.

C’est alors qu’intervint, au milieu des années 1950, l’initiative d’Eric Wyndham White proposant de soumettre les différends commerciaux à des groupes spéciaux d’experts plutôt qu’aux groupes de travail que l’on connaissait jusque‑là.  À partir de ce moment‑là, les parties impliquées dans le différend n’ont plus eu la possibilité de participer aux travaux des groupes spéciaux, ces derniers ayant pour mission de rendre des décisions neutres et objectives.  Il se peut que le passage des groupes de travail aux groupes spéciaux d’experts ait été perçu comme une mesure technique sans importance pour le système, mais il s’agissait là en fait d’un pas de géant sur les plans juridique et politique.

Bien entendu, les changements ne se sont pas arrêtés là.  Au cours des décennies qui ont suivi, les parties contractantes au GATT ont continué de faire évoluer les procédures et ont mis progressivement en place un système de règlement des différends fondé sur des règles.

En tant que spécialistes du droit commercial, vous connaissez bien les codifications, décisions et amendements adoptés en 1966, mais aussi à la fin du Cycle de Tokyo en 1979, dans le cadre de la Déclaration ministérielle de 1982, dans la décision sur le règlement des différends de 1984 et dans la décision sur les améliorations à apporter au système de règlement des différends du GATT, adoptée en 1989.

Toutefois, les initiatives les plus ambitieuses sont celles que les Membres ont prises à la fin du Cycle d’Uruguay, lorsqu’ils ont adopté le Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends.  Grâce à ce mémorandum, les Membres de l’OMC se sont dotés de l’un des meilleurs systèmes de règlement des différends au niveau international, un système qui s’est avéré particulièrement stable et efficace.

Au cours des 17 années qui se sont écoulées depuis 1995, les Membres ont porté 439 différends commerciaux devant l’OMC.  Un grand nombre de ces différends ont été réglés au moyen de consultations directes entre les parties.  De fait, 206 cas seulement, soit moins de la moitié du nombre total de différends, ont donné lieu à la constitution d’un groupe spécial, et ce bien que les Membres jouissent d’un droit quasi automatique de convoquer un groupe d’experts dès lors qu’ils estiment que les consultations n’ont pas abouti.

Nombre de différends dépassant l’étape des consultations sont réglés par les parties, soit au stade du groupe spécial soit dans le cadre de l’examen en appel.  De fait, des rapports de groupes spéciaux ont été adoptés pour 177 différends seulement, ce qui représente environ 40% de l’ensemble des affaires dont a été saisie l’OMC.

Il y a eu moins de 30 différends concernant la mise en conformité, soit moins de 7% de la totalité des différends.  Et des sanctions commerciales en cas d’absence de mise en conformité — ou la suspension de concessions, comme on les appelle dans le jargon de l’OMC — sont intervenues dans 17 cas seulement, soit moins de 4% du nombre total de différends.  Cela mérite également d’être souligné, étant donné que la suspension des concessions commerciales constitue un droit quasi automatique des Membres en cas d’absence de mise en conformité.

Le mécanisme de règlement des différends de l’OMC inspire très largement confiance.  Quatre‑vingt‑dix‑huit Membres y ont pris part à divers titres, soit 63% d’entre eux.  Il importe de souligner que les Membres en développement sont tout aussi actifs que les Membres développés.  Six des Membres qui sont le plus souvent parties plaignantes sont des pays en développement.1

Dans un discours qu’il a prononcé l’année dernière, l’Ambassadeur Agah du Nigéria, qui est l’ancien Président de l’Organe de règlement des différends (ORD), a fait observer que le système de règlement des différends de l’OMC était “remarquablement efficace”.  En effet, la procédure de groupe spécial de l’OMC dure en moyenne onze mois, sans compter le temps nécessaire à l’établissement du groupe spécial par les parties et à la traduction du rapport.  Pour comparaison, cette durée est de quatre ans pour la Cour internationale de Justice, de deux ans pour la Cour de justice européenne, de trois ans et demi pour le règlement d’un différend en matière d’investissement par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale et de trois ans et cinq ans, respectivement, pour les procédures au titre des chapitres 20 et 11 de l’ALENA.

Bien entendu, les règles applicables au règlement des différends peuvent encore être clarifiées et perfectionnées dans certains domaines, d’où les négociations actuellement en cours sur les améliorations et clarifications à apporter au Mémorandum d’accord.  Mais les Membres sont fiers de leur système, même sous sa forme actuelle, et ils ont raison.  Le mécanisme joue un rôle essentiel dans la recherche de solutions aux différends qui soient acceptables pour toutes les parties — des solutions compatibles avec les obligations qu’ils ont contractées dans le cadre de traités dont la négociation a demandé tant d’efforts.

Pour le règlement des différends commerciaux, les parties contractantes au GATT et les Membres de l’OMC peuvent compter sur le zèle et le dévouement du Secrétariat.  Les Membres saluent régulièrement, à l’occasion des réunions de l’ORD, le travail du personnel de l’OMC qui offre ses services compétents et professionnels aux groupes spéciaux et à l’Organe d’appel.  En effet, nous avons tous une dette envers eux, ainsi qu’envers les Directeurs, pour la plupart présents aujourd’hui, qui ont orienté leurs activités.  Je tiens à rendre hommage ici à Hielke, Åke, Frieder, Bill, Pieter Jan et Bruce.  Nous sommes également honorés par la présence de nombreux anciens fonctionnaires de la Division des affaires juridiques, dont certains sont venus de loin et à qui je dis “bienvenus chez vous!”.  Enfin, je tiens à rendre hommage aux fonctionnaires actuels de la Division des affaires juridiques qui ont, sous la conduite éclairée de Valérie, toujours fait preuve d’un dévouement et d’un professionnalisme exemplaires.  Sans ces “héros méconnus du règlement des différends”, le mécanisme de règlement des différends de l’OMC n’aurait certainement pas l’excellente réputation dont il continue de jouir aujourd’hui.

Au cours des 65 dernières années, nous avons été les témoins d’une aventure fascinante:  nous sommes passés d’un accord commercial obscur, minimaliste et parfois hermétique, conclu entre un nombre restreint de parties, à un système commercial multilatéral complexe et ambitieux qui lie 155 Membres — pour l’instant! — et repose sur un ensemble de règles diverses et parfois complexes.

Au cours de cette longue aventure aux multiples étapes, nous avons eu la chance d’avoir pour guides de nombreux penseurs éminents.  L’un d’eux nous a fait l’honneur de sa présence aujourd’hui.  Le Professeur John Jackson est d’abord venu au Secrétariat du GATT au milieu des années 60 en tant que chercheur.  Les résultats de cette première visite ont fait l’objet d’un ouvrage fondateur, intitulé “World Trade and the Law of GATT”, dont la première publication remonte à 1969.  Il s’agissait de la première tentative d’envergure visant à rationaliser les règles du GATT et à transformer un texte abscons, qui — et je reprendrai à nouveau ici les propos du Sénateur Millikin — pouvait mettre en danger la santé mentale des lecteurs, en un ensemble de principes cohérent susceptible de fournir des orientations utiles aux responsables gouvernementaux, aux fonctionnaires internationaux, aux entreprises du secteur privé et aux étudiants qui s’intéressent aux règles du GATT.

Plus de 40 ans après, nous demeurons redevables au Professeur Jackson pour ses travaux.  On ne compte plus, en effet, les spécialistes du droit commercial, y compris des membres de l’Organe d’appel, des fonctionnaires du Secrétariat de l’OMC ou des délégués, dont un grand nombre sont ici présents, qui ont eu le privilège d’étudier sous sa houlette.

Et nous avons de la chance car John continue à stimuler notre réflexion sur les questions commerciales.  Après avoir pris sa retraite au terme d’une brillante carrière à l’Université du Michigan, le Professeur Jackson a rejoint les rangs de la faculté de l’Université de Georgetown, où il a créé l’Institute of International Economic Law et fondé le Journal of International Economic Law.  Il est également un fervent défenseur du système multilatéral.  Le Professeur Jackson faisait partie du groupe composé de huit personnalités éminentes nommées par mon prédécesseur et présidé par Peter Sutherland, chargé de mener une réflexion sur l’avenir de l’OMC.  Dans le chapitre sur le système de règlement des différends du rapport final de ce groupe — chapitre établi sous la direction du Professeur Jackson — on pouvait lire:  “On s’accorde généralement à penser que le fonctionnement du système de règlement des différends à l’OMC est une réussite remarquable.”

Il va sans dire que cette réussite est en grande partie due à des chercheurs comme John Jackson.

L’un des nombreux talents de John est sa capacité de transposer des règles complexes en concepts clairs, transformant des casse‑têtes en jeux d’enfant … ou presque.  D’ailleurs, au début de son livre novateur sur le droit commercial, intitulé “The World Trading System”, John évoque certains “puzzles” pour illustrer la complexité des relations commerciales internationales.  Nous avons donc souhaité lui faire un clin d’œil.  En témoignage de notre reconnaissance pour le travail de toute une vie consacrée à la promotion du système commercial multilatéral ainsi que pour sa contribution inestimable au droit commercial international, et afin de le remercier également de sa présence à nos côtés aujourd’hui, je souhaiterais offrir au Professeur Jackson un puzzle en souvenir de cette réunion.

[Le Directeur général remet un puzzle 3D au Professeur Jackson.]

Bienvenue à tous à cette réunion de célébration du 30e anniversaire de la Division des affaires juridiques.  J’espère que votre journée de discussion sera fructueuse et agréable.

Je vous remercie de votre attention.

 

Note:

1. Argentine, Brésil, Corée, Inde, Mexique et Thaïlande. Retour au texte

 

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