Questions couvertes par les comités et accords de l'OMC

MODULE DE FORMATION AU SYSTÈME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS: CHAPITRE 2

Historique du système de règlement des différends de l’OMC

Le système de règlement des différends de l’OMC est souvent salué comme l’une des innovations les plus importantes apportées par le Cycle d’Uruguay. On ne doit toutefois pas en déduire que ce mécanisme est totalement nouveau et que le précédent système commercial multilatéral fondé sur le GATT de 1947 ne comprenait pas de système de règlement des différends.

Au contraire, il existait un système de règlement des différends dans le cadre du GATT de 1947 qui a connu une évolution particulièrement remarquable pendant presque 50 ans sur la base des articles XXII et XXIII de cet accord. Plusieurs des principes et pratiques mis en place dans le cadre du système de règlement des différends du GATT ont été codifiés au fil des années dans les décisions et les mémorandums d’accord adoptés par les parties contractantes du GATT de 1947. Le système en vigueur à l’OMC repose sur les principes du règlement des différends appliqués conformément aux articles XXII et XXIII du GATT de 1947 et les respecte (article 3:1 du Mémorandum d’accord). Bien entendu, le Cycle d’Uruguay a apporté d’importantes modifications et améliorations au système antérieur, qui seront mentionnées ultérieurement.1 Le présent chapitre fournit un bref aperçu des origines historiques du système de règlement des différends existant.

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2.1 Le système prévu par le GATT de 1947 et son évolution dans le temps

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Les articles XXII et XXIII et les pratiques qui en ont découlé

En vertu des règles rudimentaires énoncées dans l’article XXIII:2 du GATT de 1947, les parties contractantes, agissant conjointement, devaient elles-mêmes régler tout différend surgissant entre certaines d’entre elles. De ce fait, pendant les toutes premières années du GATT de 1947, les différends étaient tranchés par voie de décisions du Président du Conseil du GATT. Par la suite, ils ont été renvoyés à des groupes de travail composés de représentants de toutes les parties contractantes intéressées, y compris les parties au différend. Ces groupes de travail adoptaient leurs rapports par consensus. Ils ont été rapidement remplacés par des groupes spéciaux constitués de trois ou quatre experts indépendants sans lien avec les parties au différend. Ces groupes spéciaux établissaient des rapports indépendants assortis de recommandations et de décisions pour régler le litige et les transmettaient au Conseil du GATT. Ce n’est qu’après avoir été approuvés par le Conseil du GATT que ces rapports devenaient juridiquement contraignants pour les parties au différend. Les groupes spéciaux du GATT ont ainsi créé une jurisprudence, qui demeure importante aujourd’hui, et, dans leurs rapports, ils ont opté de plus en plus pour une approche fondée sur des règles et une logique juridique.

Les parties contractantes du GATT de 1947 ont progressivement codifié et parfois aussi modifié les nouvelles pratiques en matière de procédures pour le règlement des différends. Les décisions et les mémorandums d’accord les plus importants adoptés avant le Cycle d’Uruguay ont été les suivants:

  • la décision du 5 avril 1966 sur les procédures d’application de l’article XXIII;
     
  • le Mémorandum d’accord sur les notifications, les consultations, le règlement des différends et la surveillance, adopté le 28 novembre 19792;
     
  • la décision sur les procédures de règlement des différends, figurant dans la Déclaration ministérielle du 29 novembre 19823;
     
  • la décision sur les procédures de règlement des différends du 30 novembre 1984.4

 

Les faiblesses du système de règlement des différends du GATT haut de page

Certains principes fondamentaux, toutefois, sont restés inchangés jusqu’au Cycle d’Uruguay, le plus important étant la règle du consensus positif établie par le GATT de 1947. Par exemple, il fallait un consensus positif au Conseil du GATT pour renvoyer un différend à un groupe spécial. Ce que l’on entendait par consensus positif, c’est qu’aucune partie contractante ne devait s’opposer à la décision. Fait important, les parties au différend n’étaient pas exclues du processus de prise de décisions. En d’autres termes, le défendeur pouvait bloquer l’établissement d’un groupe spécial. Qui plus est, il fallait aussi un consensus positif pour adopter le rapport du groupe spécial et pour autoriser l’application de contre-mesures à l’égard d’un défendeur qui ne procédait pas à la mise en ouvre. Ces mesures pouvaient aussi être bloquées par le défendeur.

On pourrait penser qu’il était impossible qu’un tel système fonctionne. Pourquoi un défendeur n’userait-il pas de son droit de bloquer l’établissement d’un groupe spécial s’il craignait d’être débouté? Pourquoi la partie perdante ne bloquerait-elle pas l’adoption du rapport du groupe spécial? Dans quelles circonstances une partie s’abstiendrait-elle d’opposer son veto à l’autorisation de contre-mesures préjudiciables à son économie? Si les systèmes judiciaires internes devaient fonctionner sur la base d’une telle règle du consensus, ils se révèleraient inopérants dans la plupart des cas.

Curieusement, il n’en a généralement pas été ainsi pour le système de règlement des différends établi par le GATT de 1947. Les parties contractantes impliquées dans des différends en tant que défendeurs se sont abstenues pour la plupart de bloquer des décisions par consensus et ont permis que les procédures suivent leur cours, même si c’était à leur détriment à court terme. Elles ont agi ainsi car elles avaient un intérêt systémique à long terme à le faire et n’ignoraient pas que le recours excessif au droit de veto amènerait en retour les autres parties à agir de même. Ainsi, des groupes spéciaux ont pu être établis et leurs rapports ont été fréquemment adoptés quoique souvent avec retard (toutefois l’autorisation de prendre des contre-mesures n’a été accordée qu’une fois).

Il ressort d’études empiriques que le système de règlement des différends établi par le GATT de 1947 a permis de dégager des solutions satisfaisant les parties dans la grande majorité des cas. On notera toutefois que, de par leur nature même, ces statistiques ne concernent que les plaintes effectivement déposées. De fait, un nombre important de différends n’ont jamais été portés devant le GATT parce que le plaignant s’attendait à ce que le défendeur utilise son droit de veto. Ainsi le risque d’un veto a également affaibli le système de règlement des différends du GATT. Par ailleurs, le droit de veto a effectivement été utilisé, en particulier dans des domaines économiquement importants ou politiquement sensibles comme la lutte contre le dumping. Enfin, le système s’est dégradé dans les années 80 lorsque les parties contractantes ont de plus en plus bloqué l’établissement de groupes spéciaux et l’adoption de leurs rapports.

Même lorsque les rapports des groupes spéciaux étaient adoptés, le risque qu’une partie en bloque l’adoption a souvent dû influencer les décisions de ces groupes. Les trois membres du groupe spécial savaient que leur rapport devait aussi être accepté par la partie perdante pour être adopté. En conséquence, ils étaient incités à ne pas se prononcer uniquement sur le point de savoir si la plainte est fondée en droit mais aussi à trouver une solution plus ou moins “diplomatique” en élaborant un compromis acceptable par les deux parties.

Ainsi, les faiblesses structurelles de l’ancien système de règlement des différends du GATT étaient notables même si au bout du compte de nombreux différends ont été résolus. Comme on l’a constaté à la fin des années 80, pendant les négociations du Cycle d’Uruguay, la situation s’est détériorée, en particulier dans des domaines politiquement sensibles ou parce que certaines parties contractantes ont tenté d’obtenir des compensations entre les différends en cours d’examen et questions en cours de négociation. Il en a résulté une perte de confiance croissante des parties contractantes dans la capacité du système de règlement des différends du GATT de résoudre les affaires difficiles. Par voie de conséquence, les diverses parties contractantes ont davantage eu recours à des actions unilatérales et, au lieu d’invoquer le système de règlement des différends du GATT, elles ont directement pris des mesures à l’encontre des autres parties afin de faire respecter leurs droits.5

 

Le règlement des différends dans le cadre des “codes” du Tokyo Round  haut de page

Plusieurs accords plurilatéraux issus des négociations commerciales multilatérales du Tokyo Round, appelés “codes du Tokyo Round”, comme par exemple le code antidumping, énonçaient leurs propres procédures de règlement des différends. À l’instar des codes dans leur ensemble, ces procédures spécifiques ne s’appliquaient qu’aux signataires, s’agissant exclusivement du domaine traité par le code en question. Si le système commercial multilatéral qui existait avant la création de l’OMC a souvent été désigné sous le terme de “GATT à la carte”, la formule pouvait aussi s’appliquer au règlement des différends. Dans certains cas, lorsqu’il existait des règles relatives à un domaine particulier à la fois dans le GATT de 1947 et dans l’un des codes du Tokyo Round, un plaignant avait aussi une certaine marge de manouvre pour rechercher l’instance la plus favorable ou doubler la procédure, c’est-à-dire choisir l’accord et le mécanisme de règlement des différends promettant de servir le mieux ses intérêts, ou engager deux procédures de règlement des différends séparées en vertu de différents accords concernant la même question.

Pour ce qui est de savoir dans quelle mesure le système de règlement des différends établi par ces codes fonctionnait de manière satisfaisante, le bilan est moins favorable que pour le système établi par le GATT de 1947, le consensus étant très fréquemment bloqué.

 

Le Cycle d’Uruguay et la Décision de 1989  haut de page

Comme les problèmes inhérents au système de règlement des différends du GATT ont causé des difficultés croissantes dans les années 80, de nombreuses parties contractantes au GATT de 1947, pays en développement comme pays développés, ont estimé que le système avait besoin d’être amélioré et renforcé. Des négociations sur le règlement des différends ont donc été inscrites à l’ordre du jour des négociations du Cycle d’Uruguay avec un ordre de priorité élevé.

En 1989, à mi-chemin des négociations du Cycle d’Uruguay, les parties contractantes étaient prêtes à mettre en ouvre certains des résultats préliminaires des négociations (“premiers résultats”) menées sur certaines questions et ont donc adopté la Décision du 12 avril 1989 concernant l’amélioration des règles et procédures de règlement des différends du GATT.6 La décision devait s’appliquer à titre d’essai jusqu’à la fin du Cycle d’Uruguay et contenait déjà bon nombre des règles consacrées ultérieurement dans le Mémorandum d’accord, comme le droit à l’établissement d’un groupe spécial et des délais très stricts pour les travaux des groupes spéciaux. Toutefois, l’accord ne s’était pas encore fait sur la question importante de la procédure à utiliser en vue de l’adoption des rapports des groupes spéciaux. Aucun examen en appel n’était prévu à ce stade.

 

Notes:

1. Voir la section sur les principaux changements intervenus pendant le Cycle d’Uruguay. retour au texte

2. IBDD, S26/231. retour au texte

3. IBDD, S29/14. retour au texte

4. IBDD, S31/9. retour au texte

5. Cela est désormais interdit par l’article 23:1 du Mémorandum d’accord. Voir la section sur la prohibition des déterminations unilatérales. retour au texte

6. IBDD, S36/64. retour au texte

  

  

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Avertissement
Ce module de formation interactif est basé sur le “Guide sur le système de règlement des différends à l'OMC” publié en 2004. La deuxième édition de ce guide, publiée en 2017, est disponible ici.

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